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Migrance, numéro 26, quatrième trimestre 2005
Ce numéro de Migrance, revue bien connue des spécialistes de l’immigration, est intégralement consacré au mouvement migratoire qui poussa les Français outre-mer, vers l’Ouest, de l’autre côté de l’Atlantique (du XVIIe au XXIe siècle). Il vient après que quantité de travaux érudits ¬ curieux, amateurs, généalogistes, chercheurs en herbe – puis de travaux scientifiques ¬ ethnologues, anthropologues, sociologues, géographes ou historiens ¬ aient mis au jour la dimension sociale de ces migrations au Canada, aux Etats-Unis, au Mexique, en Argentine, en Uruguay, etc.
Ce numéro de Migrance, revue bien connue des spécialistes de l’immigration, est intégralement consacré au mouvement migratoire qui poussa les Français outre-mer, vers l’Ouest, de l’autre côté de l’Atlantique (du XVIIe au XXIe siècle). Il vient après que quantité de travaux érudits ¬ curieux, amateurs, généalogistes, chercheurs en herbe – puis de travaux scientifiques ¬ ethnologues, anthropologues, sociologues, géographes ou historiens ¬ aient mis au jour la dimension sociale de ces migrations au Canada, aux Etats-Unis, au Mexique, en Argentine, en Uruguay, etc.
L’intérêt des scientifiques pour ces mouvements migratoires fut parallèle à la prise de conscience, par certaines populations locales, du fait qu’elles sont directement concernées par cette grande aventure historique. Les sciences sociales puisent assez souvent leur énergie dans des mouvements sociaux actifs, en prise sur le présent et l’actualité ; puis ils s’épaulent l’un l’autre (ou, au contraire, se déchirent) mais avancent parallèlement.
On vit assez récemment apparaître, entre plusieurs régions françaises et les territoires américains où elles avaient envoyé des émigrés, des réseaux sociaux, la plupart du temps familiaux (« cousinages » au sens large) sur la base de « retrouvailles » au départ volontaristes (au moins pour l’une des parties). Ces contacts, au début isolés et individuels, eurent tendance à se multiplier, puis à s’institutionnaliser. Ils furent complétés par l’action d’associations, dûment déclarées, très dynamiques, dont le but était (et est toujours) de conserver et d’entretenir la mémoire de la migration, y compris en retrouvant et en conservant les traces matérielles de son existence : lettres, objets personnels, photos, passeports, articles de presse, etc. (au point d’être en mesure de créer des musées). C’est ce mouvement contemporain de « retrouvailles » qui inspire les concepteurs de ce numéro et sa coordonnatrice Ariane Bruneton (ethnologue de l’université de Pau et des pays de l’Adour). C’est la démarche actuelle ¬ généalogique, culturelle, mémorielle, associative et patrimoniale ¬ des descendants d’émigrés/immigrés qui est le véritable objet d’étude de ce numéro. Ce point de vue, très original, n’a pas son équivalent pour d’autres destinations à partir de la France.
Il a d’abord fallu faire un tour de France pour identifier, ce qui n’a pas été trop difficile, les têtes de ponts entre la France et les Amériques : les réseaux des ancêtres sont activés, et des phénomènes sociaux se construisent aujourd’hui autour de l’émigration d’hier, engageant parfois, sur le plan quantitatif, des masses d’individus. Je pense à ces grandes réunions familiales (autour d’un patronyme) qui peuvent regrouper plusieurs centaines de personnes, jusqu’à huit cents ou mille (venues des deux rives de l’Atlantique).
L’essentiel du numéro est consacré aux grandes associations actuelles et à leur fonctionnement, leur projet, leur fonction sociale et leurs activités : la Maison de l'émigration française au Canada, le Centre départemental d’histoire des familles (Guebwiller, Haut-Rhin), l’Association Savoie-Argentine (Champanges, Haute-Savoie), l’Association Haute-Saône ¬ Martinez de la Torre (Vésoul, Haute-Savoie), le Musée de la vallée (Barcelonnette, Alpes de Haute-Provence), l’Association Rouergue-Pigüé (Saint-Côme-d’Olt, Aveyron), l’Association franco-argentine de Béarnais (Buenos-Aires, Argentine), l’Asociación Franco Uruguaya de Bearneses (Montevideo, Uruguay), l’Association Bigorre-Argentine-Uruguay (Séméac, Hautes-Pyrenées). Le projet de Maison de la mémoire de l’émigration, en liaison avec la recherche universitaire (Pau, Pyrenées atlantiques) est présenté.
On peut légitimement penser que le Sud-Ouest est favorisé à cause de l’implantation universitaire des responsables du numéro.
Ariane Bruneton publie également des témoignages de quelques-uns des acteurs de ces innombrables « retrouvailles ». Huit, exactement, lesquels montrent l’enthousiasme des personnes sollicitées vis-à-vis de leurs activités bénévoles, qui de toute évidence, les rattachent à la grande histoire.
Du point de vue historique, précisément, cet essor patrimonial a le grand intérêt de rappeler que le phénomène migratoire de la France vers l’Amérique fut d’abord un phénomène local et qu’une analyse nationale ne peut permettre de l’envisager dans toute sa complexité. En effet, l’échelle nationale ne tient pas assez compte des spécificités d’une France des régions, alors qu’on s’aperçoit que l’émigration a dû constituer, au XIXe siècle, le phénomène central de l’histoire sociale de certaines parties du territoire. Ce genre de recherche, très novatrice, a le mérite de replacer le phénomène de l’émigration aux Amériques dans la mémoire et dans l’histoire de la France contemporaine, tout en faisant perdre au cas français (comparé à celui d’autres pays européens comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Irlande) son statut d’exception. .